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Photographie
Faire les choses à 33%
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De 2006 à 2009, l’artiste performeur français Yann Vanderme décide d’effectuer une série d’actions ou de gestes anodins du quotidien et de documenter ceux-ci. En dehors d’une certaine trivialité, ces différentes actions ne possèdent rien en commun à l’exception d’un impératif de réalisation que s’est donné l’artiste: pour être éligible, chacune de ces activités (qui vont de la préparation d’un plat de pâtes à l’organisation d’un pèlerinage à Lourdes) ne doit être complétée qu’à 33%. C’est ainsi que nait le projet Faire les choses à 33%.

Dans le documentaire qu’il produit avec Federico Anastasi (2010), il qualifie cette expérience de «jeu purement conceptuel» dans lequel la réalisation des actions est cependant cruciale: si l’expérience de pensée fournie par ce jeu est centrale, elle n’est complètement effective qu’à partir du moment où elle découle d’occurrences pratiques dans le réel. Vanderme insiste donc sur l’authenticité documentaire et sur l’absence d’autofiction dans son travail.

En effet, la plupart du temps, l’artiste ne filme pas ses performances et il ne subsiste par conséquent aucune «preuve» tangible de ses accomplissements. Les seuls artéfacts conservés sont des photographies impersonnelles (des images sur lesquelles il ne figure pas ou des critiques de films parues dans certains quotidiens parisiens) ou, inversement, très intimes (par exemple, où il figure allongé dans son bain ou sur son lit, habillé à seulement 33%). D’autres fois, ce sont des reçus (de breuvages payés uniquement à 33%), des prescriptions du médecin (dont, on s’en doute, seulement le tiers des doses sont inoculées) ou de l’opticien. Dans tous les cas, l’image donnée apparaît comme une trace de l’action absente dont elle est sensée tenir lieu. Cette omniprésence d’un certain imaginaire de la perte dans l’esthétique et dans la «scénographie» de l’œuvre semble répondre à l’abdication de l’artiste performeur en tant que moteur de la création.

Relation au projet: 

Il s'agit de l'épuisement d'un principe (celui de ne faire les choses qu'au tiers) et de l'exporation des limites de ce principe. Lorsque, par exemple, Vanderme demande au coiffeur de ne couper que le tiers de ses cheveux, l'action est possible à réaliser; dans le cas ou, en revanche, il ne compose qu'un tiers du numéro de téléphone de sa mère pour tenter de la joindre, l'action (en l'occurence, passer un coup de fil à quelqu'un) est annulée par le principe. Ce sont ces limites et ces contraintes qu'explore l'artiste. Puisque Vanderme rend disponible, sur son site web, un journal de bord où sont consignées ces tentatives, Faire les choses à 33% est égalemment engagé dans une pratique archivistique. 

Si Faire les choses à 33% se fonde sur un principe d’exhaustivité (tout faire ou quoi faire/ne pas pouvoir faire à 33%), le projet est aussi motivé en grande partie par la question d’une impossible clôture, d’un échec ou d’un abandon de la recension, puisque l’artiste n’y compile que des gestes arrêtés à mi-chemin – ou, pour le dire avec plus d’exactitude, à «tri-chemin». L’échec d’une possible complétude et d’un idéal de totalité se trouve alors aux fondements même de l’œuvre.