Titre: 
La plus-value du Selfie. Le cas de 100 Depressed Days

En 2013, l’Oxford English Dictionary intègre le terme «selfie» à son répertoire et le sacre mot de l’année, signe de l’expansion de cette pratique photographique et de la grande circulation du terme (Merlo, 2017). En effet, si on recense sa première utilisation aux années 2002-20031, la pratique selfique se répand rapidement et est accentuée par l’arrivée des médias sociaux. Elle sous-tend l’utilisation des technologies, que ce soit l’outil permettant la prise de photos (webcam, caméra portable, cellulaire, tablette), le médium sur lequel on accède à l’image (ordinateur, cellulaire, tablette, en somme un écran) ou encore le web et les médias sociaux qui permettent sa diffusion. Par conséquent, le selfie contribue à l’expansion du numérique notamment en devenant une image conversationnelle, une façon de communiquer avec les autres (Gunthert, 2015; Murray, 2015; Merlo, 2017). Malgré tout, il est souvent dénigré comme un symptôme du narcissisme contemporain qui s’inscrit dans la culture individualiste valorisée par les réseaux sociaux. Certains auteurs, au contraire, inscrivent le selfie dans la longue tradition de la mise en scène du soi et du portrait (Merlo, 2017). Il devient alors intéressant de se questionner sur sa valeur, non pas en tant qu’œuvre d’art, mais en tant qu’objet culturel et social contemporain qui nous en dit davantage sur la société et qui change nos façons de penser. Pour arriver à déterminer cette valeur, nous commencerons par circonscrire notre objet d’étude en nous dotant d’une définition et en revoyant les accusations liées à cette pratique. Par la suite, nous analyserons le projet 100 Depressed Days, documentaire personnel sur la dépression réalisé par Maria Yagoda en 2014, ce qui nous permettra de démontrer que le selfie est une image authentique, autonome, dialectique qui a un pouvoir d’agir sur la société. Ces caractéristiques nous permettront de démontrer la valeur du selfie et plus particulièrement des projets comme 100 Depressed Days.

Définition du selfie

Dans l’Oxford English Dictionary (2017), le selfie est défini comme «a photograph that one has taken of oneself, typically one taken with a smartphone or webcam and shared via social media». (Merlo, 2017, p. 2) Pour l’Office québécois de la langue française (2014), il s’agit d’«un autoportrait fait à bout de bras, la plupart du temps avec un téléphone intelligent, un appareil photo numérique ou une tablette, généralement dans le but de le publier sur un réseau social» (Merlo, 2017, p. 2). Merlo (2017) note que les deux définitions laissent de côté les notions d’instantanéité et de présentéisme sous-jacentes à la prise d’un selfie. Celui-ci «sert aussi à situer, à placer, à montrer. Le selfie proclame ce qu’on est en train de faire dans l’immédiat, maintenant. La réflexivité de l’image ancre le selfie dans le moment présent de sa captation»  (Merlo, 2017, p. 116). Pratique contemporaine, le selfie donne à voir le maintenant d’un moment précis; il montre le lien entre le sujet et son environnement. Toutefois, il convie aussi les spectateurs dans cet environnement. Le regard du sujet appelle celui de l’observateur dans un face-à-face qui invite à la discussion (Merlo, 2017). Ce faisant, l’égoportrait montre bien la relation complexe qu’est celle que nous entretenons en rapport au temps (Gervais, 2018). Si la captation de l’image et sa diffusion peuvent se faire en une fraction de seconde grâce aux technologies numériques (appareils photos et médias sociaux), la réception, elle, peut être différée; l’observateur sera toujours amené dans le présent de la captation sans véritablement partager le hic and nunc du sujet. Malgré la désynchronisation entre l’observateur et le sujet, il y a tout de même une volonté d’aller vers l’autre qui est constituante de la pratique selfique. Dans leur article, Senft et Baym (2015) donnent une définition plus complète qui prend justement en compte la relation qui s’établit entre le sujet et les observateurs:

[the] selfie is a photographic object that initiates the transmission of human feeling in the form of a relationship (between photographer and photographed, between image and filtering software, between viewer and viewed, between individuals circulating images, between users and social software architectures, etc.). A selfie is also a practice—a gesture that can send (and is often intended to send) different messages to different individuals, communities, and audience (Teresa & Baym, 2015, p. 1589).

Cette définition ajoute la dimension gestuelle et fait du selfie une pratique normée et reconnaissable. Elle peut être exercée de trois façons différentes (Gunthert, 2015): en prenant une photo dans le miroir, en retournant l’appareil ou en utilisant une caméra frontale. Dans les trois cas, l’appareil permettant de prendre la photo est visible, soit directement dans l’image ou insinué par le positionnement du bras du photographe. La présence du dispositif de captation au cœur de l’image instaure un nouveau rapport à la photographie; le sujet met en scène sa propre création. Le spectateur assiste au moment où le photographe devient sujet de l’image à travers ce bras ou le dispositif visible qui le ramène au moment où la photo est prise. Ainsi, le fait de prendre un selfie fait de l’individu un photographe amateur et il devient le sujet de l’image. Il n’y a plus de frontières entre les deux rôles puisqu’ils sont joués par la même personne. Nous le verrons, cette preuve qu’il n’y a pas de tierce personne entre le sujet, l’objectif et le spectateur, contribue à un sentiment d’intimité entre l’observateur et le sujet. Le selfie permet de rendre accessible à tous la photographie en démocratisant l’art du portrait. Pour en revenir à la définition, nous remarquons qu’encore aujourd’hui, elle n’est pas fixée puisque le concept est toujours en mutation (Merlo, 2017), c’est pourquoi, il faut s’appuyer sur plusieurs définitions, qui ont toutes leur justesse, pour faire ressortir les grands traits de cette forme photographique numérique.

Caractéristiques principales du selfie

En prenant en considération plus d’une définition, nous pouvons faire ressortir les grandes caractéristiques du selfie qui nous permettront de circonscrire cette pratique. D’abord, on note l’absence d’une tierce personne; le sujet est le photographe et le photographe est le sujet. Cette caractéristique sous-tend une esthétique particulière dans laquelle on voit à la fois le photographe (bras) et le sujet (visage), ce qui brouille la frontière entre les deux. L’observateur est d’emblée invité dans l’environnement du sujet-photographe. Également, la captation est réalisée par un outil portable afin de témoigner du présent, de ce que fait le sujet au moment de prendre la photo. On associe d’ailleurs ce type de photo à une volonté de documenter et de témoigner de notre présence (Merlo, 2017). Le développement de technologies toujours plus portatives a justement contribué à l’expansion de la pratique selfique. En effet, toujours avoir un appareil photo sur soi (via nos cellulaires) rend la prise de photos très aisée. Nous pouvons maintenant prendre des photos n’importe où et n’importe quand2. Également, les définitions s’entendent sur une intention de partage de l’image qui est prise. Ce n’est pas anodin; le selfie, contrairement à d’autres photos, n’est pas pris pour être gardé secret, encadré ou placé dans un album, il est pris pour être partagé avec d’autres. Par conséquent, il n’est pas qu’une image, c’est une tentative de dialogue qui appelle une réponse. Partagés via les médias sociaux et les blogues, ceux-ci permettent aux observateurs de poursuivre la conversation à l’aide d’emoji, de like, de partages, de commentaires et même de leurs propres photos. Le selfie est un élément social qui ne peut être pensé sans le rapport aux autres. Pourtant, certains de ses détracteurs le voient comme un élément poussant à l’extrême l’individualisme, l’égocentrisme et l’exhibitionnisme.

Plusieurs reproches sont faits aux selfietakers; ils manquent de retenue et de discipline (Burns, 2015), ils sont narcissiques ou encore ils souffrent de maladies mentales (le selfie en serait le symptôme). Ces blâmes sont, pour plusieurs auteurs qui étudient le selfie (Wortham, 2013; Burns, 2015; Gunthert, 2015; Murray, 2015; Senft et Baym, 2015; Gonsalves, 2016; Merlo 2017), faux, convenus, et ils manqueraient d’assises théoriques qui les justifient. Pour Burns (2015), les commentaires qui accusent les selfietakers montrent bien les normes sociales patriarcales en place. Le selfie est majoritairement une pratique féminine qui touche davantage les individus de la génération Y. Il est normal, pour l’auteure, qu’on tente de contrôler et de réguler sa production et sa diffusion. L’éducation des jeunes filles ayant souvent été marquée par la contrainte3; il n’est pas étonnant que les pratiques contemporaines le soient également. Pour ses détracteurs, le selfie montrerait les mœurs légères des jeunes filles qui nuisent à leur réputation. Burns (2015) montre que cette conception est sexuée; quand les hommes prennent des égoportraits, ils sont moins visés par les critiques, notamment celles faisant mention de mœurs légères ou de manque de retenue. C’est lorsque le selfie est pratiqué chez les jeunes filles qu’il devient un acte futile et vaniteux, montrant bien le caractère genré de cette critique. Burns donne des exemples dans lesquels le selfie est utilisé pour s’opposer aux stéréotypes de genre ou aux standards de beauté féminins contredisant les attaques précédemment nommées. Nous reviendrons sur ce genre de projet et sur la capacité de résistance de cette pratique. Quant à l’accusation de narcissisme, Merlo (2017) explique qu’il s’agit d’une fausse croyance basée sur une mauvaise compréhension du narcissisme et d’une tendance à le rendre pathologique. Effectivement, la personnalité narcissique se perçoit comme une personne grandiose et extraordinaire, au-dessus des autres. Toutes personnes partageant des selfies n’a pas cette vision glorifiée d’elle-même. De plus, loin d’être uniquement néfaste, le narcissisme est essentiel pour le développement de l’estime de soi de l’individu et de l’empathie; pour aimer les autres, nous disent les psychologues, il faut s’aimer soi-même; le narcissisme est donc essentiel au bon développement de l’individu, mais aussi de ses relations avec les autres. Merlo, dans sa thèse (2017), nous dit que le narcissisme à l’œuvre dans le selfie est un narcissisme relationnel, ce dernier «sert à décrire le processus d’individuation du sujet, un processus de négociation constante entre le sujet et le monde social qui l’entoure» (Merlo, 2017, p. 32). Ce narcissisme est lié au social et, nous l’avons vu dans ses caractéristiques, cette forme d’image est toujours pensée pour être partagée. Il n’y a pas d’équivalence entre la contemplation dans le miroir et le partage d’un selfie. Il est alors faux de le considérer comme narcissique dans le sens d’un amour démesuré pour soi-même, ce dernier étant, pour reprendre l’expression de Gunthert (2015), un «embrayeur de conversation», «un outil de gestion de l’individualité dans le social, une interaction entre le moi et le monde» (Iribarnegaray, 2015). Le partage d’un égoportrait peut amener le sujet-photographe dans une situation de vulnérabilité; puisqu’il peut être critiqué ou soutenu presque immédiatement. C’est justement cette monstration de son intimité et de sa vulnérabilité qui éloigne le selfietaker de la personnalité narcissique et montre son envie d’entrer en relation. Comme le souligne Wortham (2013), les conversations et les interactions en ligne se font davantage par le partage d’images, plutôt que le partage de mots; les images «are often more effective at conveying a feeling or reaction than text» (Wortham, 2013, p. 1). Les images abondent sur les médias sociaux et le selfie fait partie de ce tissu permettant de partager des émotions, des idées et des réactions. Il nous apparaît évident qu’il n’est pas narcissique au sens où ses détracteurs veulent le laisser croire puisqu’il se veut une façon d’entrer en contact avec autrui. Finalement, la dernière réprimande que nous aborderons est en lien avec ses effets négatifs sur la santé mentale. Dépression, anxiété, troubles alimentaires seraient des conséquences de la pratique selfique. Senft et Baym (2015) soulignent le manque de preuves scientifiques et empiriques qui permettent de soutenir la corrélation entre le selfie et une dégradation de la santé mentale. Au vu des explications qui déconstruisent les critiques, il va sans dire que le selfie, pour reprendre les propos de Murray (2015) est le bouc émissaire (scapegoat) des craintes et des angoisses qu’ont apportées le développement de la technologie et l’ère du numérique. S’appuyant sur la théorie girardienne, le bouc ou la victime émissaire est toujours une victime innocente4 et sa mise à mort sert, pour un temps du moins, à calmer les tensions dans la communauté. Il nous apparaît évident que la condamnation de tous les selfies sans distinction, correspond à cette logique du sacrifice. Pourtant, les différentes caractéristiques de cette pratique photographique laissent présager une valeur que nous nous attarderons à démontrer à l’aide d’assises théoriques.

De la théorie à la pratique, le cas 100 Depressed Days

La valeur potentielle du selfie sera démontrée avec un exemple concret, c’est-à-dire, le projet 100 Depressed Days, créé en 2014 par Maria Yagoda5. L’idée est simple, un égoportrait par jour, accompagné d’une phrase, pour documenter la vie normale, pendant cent jours, d’une personne vivant avec un trouble dépressif. Si initialement le projet s’appuyait sur le vécu personnel de Maria, rapidement, des commentaires et des réactions de followers ont été inclus au blogue, permettant une conversation et du soutien entre les personnes souffrant de dépression. Loin de s’arrêter uniquement à un groupe de soutien virtuel, le projet, dès le départ, est créé pour sensibiliser la population à la réalité de la dépression. La blogeuse le nomme dans un article sur Bustle (2014), elle a débuté son projet parce qu’elle

was even sicker of explaining [her] illness to those who think depression equals sadness, when that's only part of the equation. A depressed person does not have to be perpetually moping, crying, or breaking down to be a legitimate depressed person (Yagoda, 2014).

L’objectif du projet était à la fois personnel et collectif. Du côté personnel, Yagoda souhaitait exprimer son état d’esprit et mieux comprendre sa dépression pour apprendre à vivre avec elle. Du côté collectif, elle voulait sensibiliser la population aux multiples visages que peut prendre la dépression. Projet à la fois de documentation et de témoignage, 100 Depressed Days rend visible le quotidien de la blogueuse. L’utilisation du selfie n’est pas un choix anodin. En effet, ce type d’image «demands we present the sparkliest facade of our daily lives» (Yagoda, 2014). Pourtant, dans ce projet, il est utilisé pour montrer la réalité –et non pas une façade– qui inclut le beau (il est possible d’être en dépression et d’être bien mis), mais surtout, le moins beau. Loin de prendre des clichés à la Kim Kardashian, Maria Yagoda laisse entrer le spectateur dans son intimité, celle qui touche sa santé mentale, et dans son quotidien comme le montrent les lieux où sont prises les photos (autobus, chambre, voisinage, etc.). On peut tout à fait parler de narcissisme relationnel puisqu’il s’agit d’un moyen de négocier avec son environnement, sa dépression et les autres.

C’est sans surprise que le concept d’extimité peut être associé au selfie. Il y a certainement un désir d’exhibition dans la pratique selfique; on veut montrer son quotidien, le lieu où on se situe, ce que l’on fait, etc. Le sujet crée son identité en fonction de ce qu’il montre. Comme le selfie donne l’impression d’avoir accès à la vie intime des personnes, il brouille les frontières entre fiction et réalité. Nous reviendrons plus tard sur la notion d’authenticité de l’image. Ainsi, il s’agit d’une pratique extimiste. La monstration de son identité intime dans la sphère publique virtuelle s’accompagne par contre d’un désir d’être validé. Le sujet, lorsqu’il prend son selfie, veut le faire voir à l’autre; il sait qu’il sera vu, observé, ce qui amène une nouvelle façon de concevoir la subjectivité comme étant double: l’observé qui observe. En effet, nous l’avons nommé, qu’il n’y ait pas de tierce personne dans le processus de production de l’image rapproche l’observateur du sujet. Toutefois, la distance du bras qui tient le dispositif met l’observateur à distance. C’est l’exposition d’une intimité qui est choisie et limitée à ce que le sujet-photographe veut bien montrer qui est à l’œuvre; c’est pourquoi nous pouvons parler d’extimité. C’est d’ailleurs ce que Merlo (2017) nomme le double point de vue en jeu dans les selfies:

[l]e photographe invite le spectateur au sein de son environnement pour témoigner de sa présence dans un lieu, et il le fait de façon visible et ostentatoire à travers, en partie, une mise en scène de l’interface entre lui et l’appareil, lui et le spectateur, et à travers une volonté (ou, du moins, une acceptation de la contrainte technologique) de montrer le geste selfique. En même temps, par la réflexivité du selfie, le spectateur est aussi tenu à l’écart, conscient, comme le peintre ou le photographe, de la performance qui est en jeu (Merlo, 2017, p. 117).

Dans le cas du selfie, il ne suffit pas de se représenter comme sujet, il faut que l’on voie le geste qui «établi[t] une tension entre l’espace de l’image et le hors cadre […] qui sert à situer le photographe, nous invitant à nous identifier à lui» (Merlo, 2017, p. 117). Cette notion d’identification est très importante dans le projet de Yagoda puisqu’elle cherche à faire passer un message de sensibilisation. En se mettant en scène, la jeune femme entre en contact avec les gens pour leur faire prendre conscience d’une facette cachée de la société. L’identification que l’on peut avoir avec elle augmente notre niveau d’empathie et notre réceptivité au message. Elle fait preuve de narcissisme relationnel qui a une visée critique.

Le selfie: outil de communication

Dans un tel projet, le selfie a une valeur certaine pour exprimer un sujet d’actualité ou de société. Cette valeur passe par plusieurs concepts, celui d’authenticité (Gunthert, 2015), de pouvoir (potentia, Bredekamp, 2015) et celui d’image dialectique permettant la critique (Didi-Huberman, 1992). L’authenticité, est lié directement à l’esthétique du selfie. Gunthert (2015) le nomme, les

critères esthétiques [de la photographie] ne s’appliquent pas aux selfies. Ils doivent être moches parce qu’ils sont des «embrayeurs» de conversation: une image qui comporte une forme d’autodérision aura plus de succès qu’une image toute belle toute propre à la Harcourt. L’intérêt passe aussi par des erreurs techniques, ma photo est mal cadrée ou mal éclairée justement parce que je ne suis pas photographe. Avec un dosage subtil, il existe une certaine esthétique du raté, soulignant la dimension personnelle et authentique (Iribarnegaray, 2017).

Le selfie est considéré comme une photo authentique en raison de ses défauts et de la carence d’aptitudes techniques (Gunthert, 2014). Lorsqu’on regarde un selfie, on sait que le photographe n’est pas un professionnel. Ces deux caractéristiques diminuent l’impression d’une mise en scène et le soupçon qu’introduit la photographie numérique (Gunthert, 2017); l’observateur a l’impression de voir la réalité du moment: le hic and nunc de la captation sans mise en scène. Ainsi, 100 Depressed Days a pour objectif une conversation authentique autour de la dépression et c’est le selfie qui est choisi pour l’embrayer. Bien que le geste selfique reste performatif, il n’est pas entouré de l’aura artificielle du spectacle (comme le sont ceux des célébrités ou des influenceurs). Ce que nous montre chacun des cent selfies, c’est le visage d’une jeune femme dans un environnement qui n’a que très peu d’importance si ce n’est pour montrer la banalité du quotidien. Elle ne souhaite pas nous montrer ses magnifiques voyages ou les restaurants où elle va; elle souhaite montrer les visages de la dépression. Nous le verrons plus en détail, le selfie à la possibilité de créer des actes d’opposition ou de résistance, des actes cathartiques permettant de donner une parole à ceux qui n’en ont pas (Gunthert, 2015; Murray, 2015; Senft et Baym, 2015; Gonsalves, 2016; Merlo, 2017). Il semble évident que le selfie possède un potentiel d’action qui dépasse le simple portrait pour répondre à une mode.

Le selfie: source d’empowerment

Nous l’avons nommé plus tôt, le «selfie n’est pas juste une image, mais bien une pratique qui nécessite une action bien précise, reconnaissable, et représentée au sein même de l’image» (Merlo, 2017, p. 146). Cette représentation, c’est la présence de l’appareil photo dans le cadre, que celui-ci soit visible ou suggérée par le bras. Il y a donc une gestuelle selfique déterminée qui l’amène du côté de l’action, de la performance. En effet, lorsque Maria Yagoda a pris ses photos, elle ne l’a pas fait par erreur. Elle avait la volonté de capter ce moment précis parce qu’il s’inscrivait dans son projet, dans son quotidien. Bien que Bredekamp (2015) ne parle pas du selfie dans son ouvrage Théorie de l’image, plusieurs des concepts qui sont présentés peuvent y être appliqués. Rappelons d’abord que l’acte d’image s’inscrit dans une relation entre l’observateur et l’image. Plus précisément, l’image, dès qu’elle est vue, invite à l’action. Pour Bredekamp «la problématique de l’acte d’image consiste à déterminer la puissance dont est capable l’image, ce pouvoir qui lui permet, dans la contemplation ou l’effleurement, de passer de la latence à l’influence visible sur la sensation, la pensée et l’action» (Bredekamp, 2015, p. 44). Nous l’avons mentionné, le selfie nécessite une réponse, car il s’inscrit dans le social. Dès lors, il incite à une action qui se décline sur plusieurs formes, dont celle de la réponse par l’image. Il peut être utilisé, comme c’est le cas dans 100 Depressed Days pour influencer les perceptions des gens qui le regardent. Ce projet opère une forme de fascination sur son public. Il a, par conséquent, tout à fait sa place dans la troisième catégorisation de l’acte d’image; celle qui prend son ancrage dans le mythe de la Méduse. Bredekamp (2015) explique que

[l]a puissance formelle de l’artiste investit l’œuvre d’une telle vie que l’humain, comme dans un mouvement inverse, se pétrifie: cette formule souligne que l’acte d’image intrinsèque, dont l’origine se trouve dans le mythe de Méduse, est généré par le regard de l’œuvre sur le regardeur (Bredekamp, 2015, p. 219).

Bien que nous ne considérions pas les selfietaker comme des artistes ou le selfie comme une œuvre d’art, on ne peut nier qu’un projet comme 100 Depressed Days est investi d’une «potentia», c’est-à-dire d’un potentiel d’action pour celui qui le regarde. Merlo (2017) nous donne également, dans sa thèse, un argument supplémentaire pour étayer notre réflexion s’inspirant de Bredekamp, puisque, dans son analyse du selfie, elle fait aussi référence au mythe de la Méduse. En effet, l’image selfique regarde vers l’extérieur, le regard du sujet cherche celui de l’observateur ce qui engendre un face-à-face. Le selfie suppose trois niveaux de fascination (appelé médusamorphose par Merlo) qui s’apparente à la paralysie de la Méduse. D’abord, il montre la fascination du sujet pour sa propre image. Il cherche, ensuite, à fasciner l’observateur par son caractère performatif. Tel que mentionné, il invite le spectateur dans son environnement, dans son intimité. En troisième lieu, ce parallèle permet de voir que le selfie se déclare lui-même selfie par sa forme et son esthétique. Ainsi, il cherche à rapprocher l’observateur du sujet tout en le maintenant dans une distance contrôlée marquée par le bras. On peut conclure qu’il incite, par son regard, la réponse du spectateur. Il motive à passer à l’action, à entamer la conversation et à y répondre. Par conséquent, il nous semble évident que l’image selfique possède ce que Bredekamp (2015) appelle une «potentia»; ce potentiel d’action fait notamment partie de ce qui lui donne de la valeur. Les réponses reçues par Yagoda montrent bien que son projet suscite les réactions des observateurs.

Le selfie possède une valeur puisqu’il a le pouvoir de mettre en action ceux qui le regarde dans le but de débuter une conversation. Dans le cadre de 100 Depressed Days, la discussion se situe autour de la santé mentale. Yagoda souhaite diminuer la stigmatisation que vivent les personnes vivant avec une dépression qui ne se comporteraient pas comme la société s’attend à voir se comporter une personne dépressive. Elle cherche à normaliser les états de la dépression. Ce faisant, elle met l’emphase sur le fait que:

[d]epression looks like a lot of things besides meltdowns and burrito binges, though meltdowns and burrito binges are definitely part of it. Depressed people can smile. Depressed people can dress up and look foineeee. Depressed people can win. I needed for people to understand the multiplicity of depression, to understand that just because I smile and tell jokes and look put-together, I could still struggle, every moment of every day, with depression (Yagoda, 2014).

L’ensemble des photos qui sont prises pour le projet montre plusieurs visages de la dépression qui sont tous légitimes. Le projet utilise l’une des fonctions du selfie –la critique– permettant à ce dernier de mettre en lumière certaines inégalités qui sévissent dans la société. Gonsalves mentionne que «[t]he real seduction of selfie culture lies in its potential to liberate […] the real power of the selfie is potent for those who have so far been unseen, or seen only through the representative of others» (Gonsalves, 2016). Pour étayer ses propos, elle donne l’exemple de rape survivors6 en Inde qui ont utilisé un égoportrait, avec filtre, pour dénoncer leur agresseur et reprendre le contrôle de leur corps. L’entreprise n’est pas sans rappeler notre sujet d’intérêt. Dans les deux cas, le selfie est utilisé pour libérer des préjugés une partie de la population qui est souvent jugée. Il sert aussi à démystifier les idées préconçues que nous avons sur comment les gens doivent être ou comment ils doivent agir. Ainsi, le projet 100 Depressed Days permet à Maria de se représenter comme elle le souhaite et non pas comme il faudrait qu’elle le fasse. Se faisant, elle démarre une conversation qui, pour atteindre son objectif de sensibilisation, nécessite des réponses. Le projet est suffisamment fascinant pour que les observateurs, une fois la pétrification initiale passée, choisissent d’y répondre. Ce type de projet devient significatif puisqu’il rejoint d’autres personnes qui peuvent, elles aussi, retrouver leur voix.

Le selfie: outil de critique contemporain

Murray (2015) a une compréhension similaire du selfie. Selon elle, il s’agit d’une forme d’engagement politique ou social, une contre-image qui peut être une forme de résistance. Cette conception n’est pas sans rappeler celle d’image dialectique (Didi-Huberman, 1992). Simmel, philosophe et sociologue allemand, a contribué à notre compréhension de ce concept. Il a notamment, dans Pont et porte (1909), utilisé l’analogie du pont, reprise par Didi-Huberman pour expliquer comment l’image dialectique agit. Pour lui, elle «est l’image non pas d’un objet, mais d’une représentation dynamique des structures contradictoires de la société moderne» (Panagiotis, 2015). Walter Benjamin, dans ses derniers travaux, a également travaillé sur cette notion. Pour lui, le présent est déterminé par les images qui lui sont contemporaines; les images ont une lisibilité liée à l’ici et au maintenant dans lesquelles elles évoluent. L’image a un impact important sur la société, comme nous l’avons vu, elle pousse à l’action, mais dans le cas de l’image dialectique, elle permet également la critique et la remise en question. Pour Didi-Huberman, elle permet de faire un pont entre les sens (le monde sensoriel) et le sens (l’image que nous voyons est un signe qui renvoie à une signification). Il n’est pas anodin de parler de pont entre deux formes de sens puisque cette structure relie deux rives qui sont, à la base, séparées. C’est ce que se propose de faire l’image dialectique, elle relie ce qui est séparé, ce qui s’oppose, et ce, dans une unité qui fasse sens.

Dans le cas du projet 100 Depressed Days, ce que nous voyons, ce sont des egoportraits qu’on pourrait qualifier de «grossiers»: l’éclairage n’est pas toujours optimal, les emplacements ne sont pas choisis pour leur esthétique, le cadrage n’est pas nécessairement flatteur et le sujet ne cherche pas à se montrer sous son plus beau jour. Ce sont des portraits qui peuvent apparaître sans valeur esthétique ou artistique et qui pourraient tomber dans l’oubli. Pourtant, lorsqu’on les assemble, qu’on y ajoute les commentaires du blogue et les interactions des observateurs, on y retrouve la normalisation de la santé mentale. L’assemblage sert à montrer une facette de la société qui est, encore à ce jour, tabou. Il sert à briser les stéréotypes et à changer la façon dont la société perçoit la santé mentale. L’image dialectique permet de

saisir dans toute sa dimension critique, c’est-à-dire à la fois dans sa dimension de crise ou de symptômes –comme le tourbillon bouleverse le cours du fleuve– et dans sa dimension d’analyse critique, de réflexivité négative, de mise en demeure –comme le tourbillon révèle, accuse la structure le lit du fleuve lui-même (Didi-Huberman, 1992, p. 127-128).

Le mouvement dialectique s’établit entre les deux notions de sens, c’est leur confrontation qui crée le mouvement dialectique et la critique. Dans 100 Depressed Days, Maria Yagoda utilise l’un des symboles de la société glamour et du star people, le selfie, et l'utilise pour qu’il fasse prendre conscience aux observateurs d’une problématique. Il y a une crise au sein même du projet qui prend place dans le détournement effectué par la blogueuse. Le selfie ne sert pas à asseoir les stéréotypes de beauté ou à montrer un statut social; il sert à parler d’un tabou. En passant, il permet aussi de critiquer d’un côté la société dans sa superficialité qui ferme les yeux sur les inégalités et d’un autre côté, les stéréotypes et les préjugés. Finalement, le projet permet aussi de dépasser le passé (la tradition de portraits) et le présent (le selfie comme outil de promotion de soi) en redéfinissant son rapport au contemporain. De base, le projet (prendre une photo de soi par jour) peut entrer dans la logique consumériste des influenceurs, vedettes et individus qui se servent du selfie pour montrer le spectaculaire, le beau, l’exceptionnel de leur vie, mais Maria Yagoda l’utilise pour montrer le banal et le quotidien. Le présent et son individualité ne sont pas glorifiés, ils sont montrés comme ils sont: les bons jours et les mauvais jours compris. Nous l’avons démontré, le selfie est considéré comme une image authentique qui ouvre un dialogue entre les gens. Le fait que sa diffusion se fasse par le web permet d’annuler les frontières et barrières physiques entre les individus; ce sont des individus avec des intérêts communs qui peuvent dialoguer via le selfie (Murray, 2015; Senft et Baym, 2015). L’utilisation de cette pratique photographique dans un projet tel que 100 Depressed Days permet aux images d’obtenir une certaine valeur. En effet, grâce à Bredekamp, nous avons démontré qu’elles avaient le pouvoir de faire agir les gens de par le regard qu’elle porte sur eux. Didi-Huberman, nous a permis de voir que le selfie pouvait être utilisé pour faire une critique de la société.

Nous appuyant sur les théories de William J.T. Mitchell («La plus-value des images», 2001), nous verrons comment les caractéristiques nommées précédemment sont signe de la plus-value du selfie. D’abord, rappelons que, pour Mitchell, la valeur d’une image n’est pas nécessairement esthétique, pas plus qu’elle ne doit relever de l’art. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous nous appuyons sur ce chercheur. L’ensemble de notre propos ne visant pas à faire reconnaître une valeur artistique ou esthétique à la pratique selfique, par conséquent, la proposition de Mitchell répond bien à notre objectif. Pour l’historien de l’art, la valeur de l’image est changeante et fuyante. Il n’y a pas de critères qui permettent de l’établir sans ambiguïté. Se basant sur une analogie entre les espèces et les images, Mitchell conclut que la valeur de l’image est synonyme de vitalité ou de vivacité, c’est-à-dire qu’elle dépend de la façon dont l’image se développe et évolue après qu’elle ait été convoquée une première fois. Ce qui permet de voir si une image a de la valeur, c’est l’observation de son déploiement et la façon dont elle va influencer la perception du monde. L’image est un élément social et vivant qui peut avoir son propre destin. Le selfie va justement nous amener à reconsidérer le rapport au corps, à la subjectivité, à la production, à la diffusion et à la consommation de ce type d’image.

La plus-value du selfie

Comme mentionné, le selfie s’inscrit dans la conception contemporaine de la subjectivité dans laquelle, le sujet se sait observer par les autres comme ces derniers savent qu’ils sont eux aussi observé par le sujet. Le regard est lié très intimement au corps. Le selfie est une pratique, une gestuelle qui ancre le corps dans la photographie comme un acteur qui donne une performance; c’est une image qui a une agentivité. D’abord, parce que le sujet fait l’action et c’est en la faisant qu’il devient sujet. Il y a toute une question de la volonté du photographe-sujet. Par la suite, le selfie a aussi une capacité d'agir sur le monde qui lui est propre, hors de son rapport avec la production; il établit des liens, il se projette vers le spectateur imaginé (Merlo, 2017). S’il tire, au commencement, sa source dans l’action humaine, une fois publié, il fait partie de la structure numérique (Senft et Baym, 2015) et possède dès lors son propre pouvoir d'inciter des comportements. L’auteur du selfie est alors dépossédé de son image en raison de son propre choix. L’image, dès lors, entame un parcours autonome sur le web. Mitchell le nomme, les images sont partout, nous n’avons pas besoin de les rechercher pour les trouver. Il en est de même pour les selfies, ils sont partout et ils viennent à nous (Merlo, 2017). Comme mentionné, le selfie demande une réponse, son pouvoir d’action, comme nous l’avons vu avec Bredekamp, pousse l’observateur à donner une réponse. Il développe alors un pouvoir relationnel et politique. Merlo précise que «c’est ce narcissisme relationnel qui stipule que le sujet se situe nécessairement dans un environnement social et dépend d’une interaction avec les autres» (Merlo, 2017, p. 149) et ce, avant même de publier le selfie sur les médias sociaux.

Dans le cadre du projet qui nous intéresse, Maria Yagoda («I Chronicled My Depression In 100 Selfies», 2014) le mentionne, les réactions ne se sont pas fait attendre après la mise en ligne de son projet. L’image a eu un impact sur les observateurs qui ont voulu y participer. Parmi les gens qui ont réagi, certains ont raconté leur propre histoire et ont envoyé leur propre selfie; ils se sont engagés dans cette pratique. Le projet s’est enrichi de la voix des autres qui, en racontant leur histoire individuelle, ont contribué à établir un regard collectif sur la santé mentale. Mitchell parle d’images qui vont au-devant pour parler de leur vie autonome. Il semble évident que 100 Depressed Days est exactement ce type d’image qui va au-devant. Il ne s’agit pas d’une série de portraits, mais bien d’un dialogue qui s’ouvre pour parler de santé mentale et pour faire tomber les tabous. Loin d’être le seul projet de ce genre, le selfie est souvent utilisé pour dénoncer, démocratiser et démystifier plusieurs enjeux dans la société. Il s’agit d’un type d’image qui possède une valeur culturelle et sociale, une valeur de changement, d’ouverture à la différence et un témoignage daté qui s’inscrit dans le temps. Ce type de photographie peut être pris par tout le monde, aucun besoin d’équipement sophistiqué, de suivre un cours ou autre, il est pris instantanément et partagé avec les autres. C’est une pratique démocratique qui permet à tous de s’exprimer. C’est aussi là que réside la plus-value du selfie, dans sa capacité de surpasser les frontières langagières, géographiques, physiques, économiques et sociales. Tout le monde peut l’utiliser.

Conclusion

En conclusion, le selfie est un objet culturel et social contemporain qui dépend étroitement du développement des technologies. Les différentes définitions nous ont permis d’établir quatre grandes caractéristiques de cette pratique photographique. Il s’agit d’une image qui permet un rapprochement entre le sujet et l’observateur en créant une certaine intimité, qui est alimentée par le geste selfique et qui invite l’observateur à entamer une conversation avec le sujet. S’appuyant sur ces caractéristiques, nous avons montré que le selfie était authentique, puisqu’il montre le hic and nunc de la captation. Ces défauts esthétiques ajoutent également à son aura de vérité. Nous appuyant sur les notions théoriques de Bredekamp et de Didi-Huberman et sur un exemple concret, 100 Depressed Days, nous avons montré que le selfie possède une potentia qui fait réagir les observateurs et les incite à participer à la discussion qu’ils inaugurent. Nous avons déterminé que le selfie, dans le cadre de projet structurant comme 100 Depressed Days, avait une plus-value au sens où l’entend W. J. T. Mitchell: il s'agit d'une image qui développe une vie autonome et qui va au-devant de sa première apparition. Sa nature «d’embrayeur de conversation» est justement ce qui lui permet d’évoluer et d’avoir un impact sur la société. Dans le cadre de projet comme 100 Depressed Days, ce sont les tabous et les inégalités de la société qui sont mis de l’avant dans le but d’en changer les perceptions. Comme le souligne Merlo (2017), «le selfie est à la fois générateur et représentatif d’une nouvelle forme de subjectivité –une subjectivité contemporaine qui s’établit par une relation à l’environnement visuel et une double pratique de la consommation et de la production d’images» (Merlo, 2017, p. 247). Ce nouveau rapport serait également intéressant à analyser sous l’angle de la démocratisation de la pratique culturelle numérique. Nous l’avons abordé, le selfie s’inscrit dans la tradition du portrait, tradition qui appartient au canon de l’art visuel. L’expansion de la pratique selfique peut en dire beaucoup sur la société actuelle et sur le paradoxe entre l’individualisme de plus en plus présent (perte des rites et coutumes collectifs) et le besoin de se créer une communauté hors frontière grâce au virtuel. Une nouvelle phase de recherche serait donc nécessaire pour voir l’impact des nouvelles plates-formes comme TikTok et Instagram qui mettent l’image au cœur de leur fonctionnement et des conversations qui s’instaurent.

  • 1. Le terme est d’abord utilisé par un Australien qui commente sa propre photo: «Um, drunk at a mates 21st, I tripped ofer [sic] and landed lip first (with front teeth coming a very close second) on a set of steps. I had a hole about 1cm long right through my bottom lip. And sorry about the focus, it was a selfie» (Gonsalves, 2016).
  • 2. Cette capacité de prendre des photos n’importe où est justement un reproche que l’on adresse aux selfietakers, comme preuve de leur égocentrisme. C’est le cas, par exemple, des selfies pris lors de funérailles qui sont jugés sévèrement (Gunthert, 2015; Merlo, 2017).
  • 3. Pour en lire davantage sur le sujet de l’éducation des jeunes filles, nous recommandons l’ouvrage ethnocritique d’Yvonne Verdier, Façon de dire, façon de faire (1980).
  • 4. Pour plus d’information sur la victime émissaire et sur son innocence, consulter Violence et sacré (1998) et Le Bouc Émissaire (1986) de René Girard.
  • 5. Pour consulter le projet: https://100depresseddays.wordpress.com/.
  • 6. Nous choisissons ici de conserver le terme en anglais, puisque la traduction française nous oblige à utiliser le terme victimes plutôt que survivantes. Puisque l’acte des survivantes sert justement à les dévictimiser en leur redonnant leur capacité d’agir, la traduction ne peut rendre justice au phénomène.
Pour citer: 

Brunet-Bélanger, Marie-Ève. (2021). La plus-value du selfie. Le cas de 100 Depressed Days. Explorations Archiver Le Présent. http://archiverlepresent.org/exploration/la-plus-value-du-selfie-le-cas-...

Bibliographie: 
Fiche de la collection

100 Depressed Days est un projet alliant la photographie (particulièrement le selfie) et le blogue (WordPress).